mardi 17 mai 2011

Stonehenge

16 mai 2011

A partir du moment où la passion s'exprime, les paroles ont parfois tendances à prendre des proportions extatiques et jubilatoires frisant l’exagération. Et c'est ainsi que toute une brochette de superlatifs vient ponctuer le discours de l'amateur d'équitation au moment de faire part de son enthousiasme. Le mordu vous affirmera ainsi que cette discipline a quelque chose de magique, de féérique et d'envoutant, qui saurait transformer n'importe quel vilain crapaud en cavalier charmant dès lors qu'il pose ses fesses sur une selle.

Foutaises, diront le commun des mortels. Et pourtant...

Cela débute la veille, au moment d'accompagner les shetlands vers le grand manège pour le reprise du dimanche après-midi. A l'intérieur, se trouve une dame d'un certain âge, à la coiffure improbable et dont l'allure générale pourrait sans doute aucun la faire passer pour la marâtre de n'importe quel conte populaire. La dame y travaille consciencieusement un cheval à la longe quand je m'apprête à ouvrir la porte afin d'y faire passer les cavaliers en herbe.
La sorcière dame s'arrête soudainement, visiblement surpris par l'intrusion imminente de divers individus au milieu de son exercice. Elle se tourne alors vers moi et s'écrie d'un air peu satisfait :
- Ah mais, il ne faut pas rentrer ici !
Alors qu'au même instant, située un peu en retrait et ne pouvant donc assister à la scène, La Monitrice prie la troupe de pénétrer dans l'enceinte...
Je réplique alors à la dame :
- Oui, mais il y a cours maintenant, donc on va rentrer quand même...
Elle quitte alors le manège avec un air furieux et l'envie irrépressible d'y faire pleuvoir des grenouilles...

Quelques tours de trot et de galop plus tard, voilà toute la petite troupe en direction des près pour aller y gambader joyeusement. Au milieu des herbes hautes serpente un agréable chemin au bout duquel se trouve une piste circulaire où nos jeunes cavaliers vont expérimenter les joies de l'équitation en plein air. J'avoue être un peu jaloux devant leurs mines réjouies et les voir ainsi prendre un plaisir que semble partager leurs montures.

Sur le retour, nous croisons la marâtre sur le point de passer quelque onguent miraculeux sur les sabots de son cheval. Elle se retourne alors vers nous et annonce à La Monitrice d'un air suspicieux :
- C'est étrange, Itis est tout seul dans le pré...
La Mono s'immobilise quelques instants, prenant le temps d'une intense réflexion. Non, décidément, ce n'est pas possible, il devrait AU MOINS y avoir Night, la jument frappadingue uniquement montée que par quelques rares Élues. Et comme je surveille la bête depuis quelques semaines, je me permets d'ajouter que Quick, n'étant ni à l'attache, ni en reprise, aurait du s'y trouver aussi. Mystère et boule de gomme...
Comme nous devions justement aller sur place y déposer une botte de foin, j'accompagne donc La Mono pour tenter de lever le voile sur cette étrange affaire. Mais une fois arrivés, la consternation fait place au soulagement :  tous les chevaux prétendument disparus n'ont pas résisté à l'appel du foin et ont échappé au vilain sort qu'il leur avait été jeté pour réapparaître aux côté de leur congénère. Faille spatio-temporelle, enlèvement express par des extra-terrestres en recherche de sources d'ADN remarquable ou habilité extrême des chevaux et se camoufler derrière le dernier brin d'herbe de leur pré, le mystère reste entier.

Le lendemain, je suis affecté à Don Nuevo. Nonobstant sa propension à se concentrer sur sa gamelle, j'ai avais gardé lors de mon unique reprise sur son dos un souvenir plutôt agréable bien que lointain.
Une fois récupéré au pré, où je ne constate aucune manifestation surnaturelle, et attaché à son anneau, j'apprends avec un certain bonheur que nous devrions à notre tour avoir la joie d'aller se dégourdir les pattes dans la verte prairie !

Dans la carrière, à peine avons-nous eu le temps de monter en selle, que c'est direction les prés, en prenant le même chemin à travers les herbes hautes emprunté par les bambins la veille. Une légende naissante (et un peu déformée par mes soins, je l'avoue) rapportée par La Mono affirme que cette piste était empruntée jadis par les vieux gladiateurs passés de vie à trépas et cherchant à rejoindre les Champs-Elysées.
La gare RER étant juste en face, ne pas oublier toutefois de faire un changement à Châtelet ou Gare de Lyon...

Une fois sur le cercle, il est enfin temps de reprendre connaissance avec Don Nuevo. Première remarque, il est incroyablement fin ! Certes, il commence à avoir de la bouteille et à se creuser ici et là, mais de là à être capable de faire toucher mes pieds sous son bide, voilà qui change des mastodontes Quick et Mowara ! En revanche, c'est un amour en selle. Précis et réactif à l'instar de Mowara, de minimes sollicitations sont nécessaires pour le faire avancer à sa guise. Un cheval léger par excellence, le parfait contraire de Quick.
Au trot, je me laisse aller à rester assis quelques foulées histoire de prendre connaissance de son indice tapoku. Diantre, je n'avais pas le souvenir qu'il était aussi gratiné ! Si Granolat est le mètre étalon en matière de chevaux tape-cul, Don Nuevo doit bien approcher les 0,90 ou 0.95 granos, légèrement au dessus de Quick, en attendant bien sûr des mesures définitives à l'aide d'un granomètre de précision.
Je reprends bien vite le trot enlevé, La Mono devrait de toute façon nous faire quelques tours de trot assis un moment ou un autre.
- Vous déchaussez les étriers !
Ah ben, qu'est-ce que je disais... Ce champs semble avoir la vertu d'amplifier les facultés divinatoires...

Passé ces quelques instants de mise en selle éprouvante, le moment tant attendu est arrivée. Sur la piste circulaire, certainement un cercle de culture dessiné par quelque divinité qui a pris soin de charmer le lieu par je ne sais quel maléfice sympathique, les chevaux sont enfin lancés au galop pour notre plus grand bonheur. A un rythme initialement un peu timide, le temps que chacun prenne ses marques, j'essaye de retenir les leçons de la reprise précédente en prenant garde à la tenue de mes mains et en étant plus souple sur les rênes. C'est inouï comme ça parait soudainement plus facile ! Je pense que Don Nuevo me facilite grandement la tâche, tant il est agréable au galop !
Nous changeons de main, reprenant le petit galop tranquille, puis la magie de l'instant opérant, les allures s'accélèrent progressivement. Chacun essayant de se rapprocher du cavalier le précédant tout en évitant que celui que le suit ne le rattrape, nous sommes ainsi lancés dans une sorte de frénésie à laquelle nos montures semblent prendre plaisir à partager. Sur fond de coucher de soleil, cet instant est magique, unique, littéralement transcendant.

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Passés ces quelques fractions d'éternité, heureux comme des papes, nous ne sommes pas redescendus tout de suite. Par certain moment, le cheval est comme une fusée qui met son cavalier en orbite autour de la Terre. Même quand le moteur s'arrête, le cavalier continue à naviguer au dessus de l'atmosphère et ne redescend que bien plus tard, une fois l'état d'apesanteur évaporée.

Sur le chemin, du retour, j'aurais même presque eu envie de chanter. Pour ne pas rompre le sortilège, j'ai préféré m'abstenir...

Mais la magie ne s'arrête pas là. Au détour d'un bosquet, nous croisons un arbre magique. Celui-ci aurait la vertu, quand il est frappé par le soleil sur les coups de midi et baigné d'une douce chaleur, de faire pousser à ses pieds des monitrices d'équitation. Plusieurs témoignages confirment avoir effectivement aperçu un tel phénomène, ce qui corroborait l'hypothèse de l'origine surnaturelle des monitrices.

Enfin, une fois à terre, je veux dire "physiquement", je m'occupe de donner un dernier coup de brosse au bon Don Nuevo qui m'a transporté me soir. En lui curant les pieds, je fais une dernière découverte étrange... Sur ses antérieurs, juste au dessus du boulet au niveau du tendon, lui pousse une espèce de petite griffe que je n'avais encore jamais observé jusque-là. Au moment précis où la lune fait son apparition bas sur l'horizon et dont un phénomène optique lui donne une taille irréelle, il n'y qu'une seule conclusion à en tirer : Don Nuevo est un cheval-garou !



Puisque je vous dis qu'il y a quelque chose de magique dans l'équitation...

4 commentaires:

  1. Super encore ce résumé bravo Tonton Galop zéro...
    =)

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  2. J'adooore! =)
    De très belles métaphores... =P
    J'adore galoper dans des grands champs... La sensation de liberté qu'on a est géniale! Surtout que mon poney pie, lui dès qu'il voit une telle étendue veux seulement partir au triple galop pour s’épandre de liberté, tel Spirit! ;-)

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  3. "Si Granolat est le mètre étalon en matière de chevaux tape-cul, Don Nuevo doit bien approcher les 0,90 ou 0.95 granos, légèrement au dessus de Quick, en attendant bien sûr des mesures définitives à l'aide d'un granomètre de précision."

    J'ai éclaté de rire en lisant cela!
    Assise à mon bureau au travail, les collègues ont du me prendre pour une folle!

    Agréable les sorties dans les prés! Ca change du bac à sable?!!

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  4. Ahhhahhh. Que de magnifiques métaphores !

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