mercredi 29 juin 2011

Dithyrambe

27 juin 2011

Ce n'est pas tout à fait ainsi que j'avais écrit le scénario. Initialement, ce devait se dérouler sensiblement selon une trame bien précise. Nous devions dérouler une reprise sympathique, du genre galop pleine balle dans les près, ou une activité ludique inédite comme un jeu de piste ou je ne sais quoi de rigolo et d'amusant.
Par la suite, une fois les chevaux remisés dans leurs enclos, nous nous serions attablés autour d'un arbre en bord de carrière, puis aurions savouré un bon barbecue et autres mets gras et goûteux dans la joie et la bonne humeur afin de célébrer dignement cette dernière reprise de la saison.
Enfin, après que nous ayons avalés le dessert et quelques verres supplémentaires de vins délicats consommés avec modération, je me serais levé de ma chaise, le verre à la main, et aurait ainsi rendu hommage à notre Monitrice adorée par un discours aussi pompeux que dithyrambique, en citant quelques morceaux choisis de La Sainte Bible pour renforcer le côté solennel de l'instant tel que « Un cheval ne peut appartenir personne. On ne fait que l'emprunter » (Grand Galop, Livre II, Chapitre 11), et en soulignant à quel point nous avons apprécié ses compétences en plus de certaines caractéristiques physiques remarquables.
Pour conclure, nous lui aurions offert ce modeste tapis de selle à la jolie couleur orange, dédicacé par tous, qui aurait arraché une petite larme d'émotion à notre Monitrice qui aurait ainsi embrassé tendrement chacun de ses élèves.
Enfin, peut-être pas tous, disons juste moi. Les autres se seraient contentés d'un simple « merci ».

Seulement voilà, je reste désespérément cloué au sol, les morceaux de jambe fraichement recollés tardant à se remettre définitivement en place.
De plus, devant exceptionnellement gardé Fifille ce soir, je ne saurais rester pour le barbecue prévu. Bref, il y va falloir improviser un plan B.

L'idée m'est venue juste avant que La Monitrice ne vienne animer sa reprise de 19h. Ma voyant ainsi peiné et désœuvré sur ma chaise, elle me propose d'aller lui préparer Smarty, un cheval alezan de propriétaire, dans le but qu'elle puisse monter avec ses élèves de 20h dont je devais initialement faire partie. Ce qui est une façon subtile de me faire rester en contact avec l'équitation.
Maline, La Monitrice...

Et c'est le moment où jamais... Une fois la selle en main, je subtilise astucieusement le tapis initial un peu miteux pour mettre en lieu et place le petit cadeau prévu par mes soins. Ne reste plus qu'à faire venir mes collègues pour leur faire discrètement dédicacer, et le tour est joué.
La Monitrice n'aura plus qu'à découvrir au moment de prendre en compte sa monture la petite surprise qui lui est dédiée.
Malin, le Tigrou.

Une fois en carrière, il faut le reconnaitre, ça lui va plutôt pas mal. En bonne altesse royale qu'elle est à chaque fois qu'elle s'installe sur une selle, elle nous fait comme d'habitude une démonstration époustouflante d'équitation nous ramenant ainsi à notre condition de modestes apprentis.

Ce soir-là, mes collègues dérouleront sous mes yeux une séance de carrousel très honorable, me faisait regretter un peu plus ma condition de piéton. Oui, védéhème, comme on dit aujourd'hui.
Mais il me reste un cours d'équitation à rattraper dans la semaine et je compte bien prendre une petite revanche sur les évènements.
Et ce jour-là, ça va faire mal.

Quoique, à bien y réfléchir, je ne suis pas sûr que cette dernière expression soit vraiment la bienvenue...

mercredi 22 juin 2011

Métamorphoses

20 juin 2011

Il est toujours délicat de se lancer dans la rédaction d’un article au lendemain d’une séance d’équitation particulièrement riche en émotions. Je ne sais pas vraiment par quel bout entamer le récit, je suis en sorte saisi par cette fameuse angoisse de la page blanche au moment de porter par écrit les évènements particuliers de la veille. Certes, avec un petit effort, j'arriverai bien à pondre ces longues phrases alambiquées et interminables que j'affectionne tant, en prenant un malin plaisir à partir dans tous les sens et ainsi faire perdre le fil de la conversation au lecteur inattentif. Et si j'étais franchement pervers j'irais même jusqu'à carrément supprimer les ponctuations de la phrase et de l'article entier et ainsi ensevelir ce même lecteur sous un infernal déluge de mots jusqu'à l'étouffement complet ce que même Perrec n'aurait jamais osé.
Oui, vous l’avez peut-être noté, c'est aussi la journée du Bac Français. L'occasion pour beaucoup de se retrouver seul avec son crayon et sa feuille de papier et de se confronter à cette même phase d’angoisse littéraire. C’est la période des examens, et les cavaliers n'y échappent pas !
Donc, l’introduction, c’est fait.

Pour cette reprise particulière, afin de présenter au mieux, je fais une toilette complète à Gulliver comprenant tresses, natte de queue et poil brillant. En bonne petite peste que je suis, c'est le moment ou jamais d'impressionner la galerie. Je suis toutefois un peu surpris de me retrouver avec le noiraud, car il est question de sauter ce soir, et Okilébo n’a pas bonne réputation dans cette exercice.
D’ailleurs, à peine ai-je mis les pieds dans la carrière que La Monitrice vient me voir en s’excusant presque de m’avoir attribué cette monture :
- Bon, Daniel, c’est Gulliver, tu sais comment il est au saut, hein ? Mais je n’avais rien d’autre sous la main…
- Bah, je vais me débrouiller !

A peine la détente entamée, je suis de suite convoqué par La Mono pour mon épreuve orale. Toute la théorie des filets, de la selle, du pansage et des robes sont au programme, cette diablesse de Mono allant même jusqu'à essayer de m'embrouiller avec les café-au-lait et les isabelles, mais il me semble m'en tirer plutôt correctement pour la partie théorique.

La partie pratique se compose de petits deux sauts à enchainer à différentes allures. Le premier le long du pare-botte à passer au galop, le second à effectuer au trot après avoir parcouru trois-quarts de cercle.
Mais dès les premières mises en jambe effectuées au trot, il apparaît que Gulliver n'est pas du tout disposé à me faciliter la tâche. Les refus s'enchainent les uns après les autres, me faisant ainsi bien comprendre que mon examen, je vais devoir aller le chercher avec les dents.

Au bout de la cinquième ou sixième tentative, quelques mètres avant l'obstacle, Gulli prend deux foulées de galop me faisant ainsi espérer qu'il est enfin lancé sur de bons rails pour franchir ce fichu vertical.
Ben non. Magnifique sliding-stop du noiraud qui m'envoie ainsi franchir l'obstacle en parfaite autonomie. Bonne grosse gamelle sur le dos, en partie amortie par le protège-dos d'un côté et par mes fesses de l'autre. Résultat : un premier hématome généreux et une crampe à chaque mollet.

Quelques étirements plus tard, je remonte en selle pour franchir, non sans mal, le vertical au galop avant de me présenter face au second obstacle à franchir au trot.
Et rebelote : refus, arrêts, reculades, écarts, Gulliver, qui semble pété de trouille par l’exercice nous ressort toutes les figures de dressage du catalogue international en lieu et place du petit saut riquiqui que je désespère d'effectuer devant La Monitrice. A la énième tentative, je finis tant bien que mal par le remettre aux ordres, et dans un élan de générosité inouï, Gulliver finit tout de même par franchir ce damné obstacle.
De manière préventive, je m'accroche à la crinière comme un mort de faim, mais en pure perte. Par un dernier effort, Gulli m'envoie une fois encore compter les grains de sable de la carrière. Une bonne chute sur la hanche, là il ne se trouve pas de gras pour amortir, qui étale par terre un peu plus d'amour-propre. Je ramasse ce qui m'en reste et remonte en selle sur le champ, faisant fi des quelques douleurs qui commencent à me piquer l’ensemble du bassin. Mes camarades semblent inquiets et viennent régulièrement prendre de mes nouvelles…

Afin de terminer sur une note propre, La Mono me propose d'échanger ma monture avec une Mowara nettement plus volontaire pour refaire le parcours dans les règles de l'art. Je m'y applique, magnifiquement porté par cette jument choupinette. J'ai toutefois quelques difficultés à garder les fesses sur la selle, je finirai la reprise en équilibre, que je trouve pour l'occasion infiniment plus confortable.

Au moment de descendre de cheval, étrangement, j'ai comme quelques difficultés à faire passer ma jambe par dessus la croupe de Mô. Au moment précis où j'ai posé les pieds par terre, j'ai rapidement compris que le reste de la soirée allait être particulièrement longue…

J'arrive péniblement à raccompagner Mowara dans son box pour ensuite rejoindre un banc salutaire. A la sortie de l'écurie, un monsieur à la bonne tête d'ancien légionnaire à la retraite me voit passer boitant bien bas et s'étonne ainsi :
- Ben alors ? Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ?
- C'est Gulliver qui ma foutu deux fois par terre.
- Gulliver ? Qu'est-ce qu'il lui a pris à celui-là ?
- Ben, il ne voulait pas franchir les obstacles, alors je les ai franchis tout seul...
- Ah, je vois ! Et encore, heureusement que ce n'était pas Quick !
La Mono arrive alors et lui répond :
- Très honnêtement, je pense qu'il aurait préféré Quick !
Oh que oui... 

Rallier le restaurant du coin où une petite bouffe est improvisée s'avère être un pénible chemin de croix, avec la crainte de ne plus pouvoir me relever une fois les muscles et les articulations bien refroidis sur le fauteuil.

Ce fut le cas. La jambe droite a définitivement été abandonnée au milieu de la carrière, la soirée s'est donc terminée dans le service de radiologie de l'hôpital du coin. Je me suis mis à espérer quelques temps qu'Infirmière Popy viendrait me faire ma piquouse, mais en lieu et place ce fut le médecin orthopédiste de service qui est venu m'annoncer qu'elle n'avait rien décelée à la radio et que je pouvais par conséquent rentrer chez moi.
- Mais, euh... Je ne peux pas mettre un pied par terre !
- Ce n'est pas grave, on vous ramène quand même.

Ce fut donc quelque part une nuit magique. La chenille Galop Zéro s'est transformée en papillon Galodeux.
Et la petite peste de cavalier que je suis s'est transformée en vilain docteur House pour quelques jours..

Kafkaïen tout ça, non ?

§

Passée une journée avec une bonne grosse baisse de moral le mardi, je ne lui en veux finalement pas à ce brave Gulliver. Je serais même presque prêt à recommencer si nécessaire…

mardi 14 juin 2011

Farces et attrapes

13 juin 2011

Sous leurs airs plus ou moins placides et dociles, nos amis équidés se révèlent être parfois de satanés farceurs. Comme s'il leur prenait, de temps à autre, l'envie de nous rendre la pareille et nous faire passer à notre tour pour des bourriques. Et je les soupçonne même de le faire exprès, cogitant en troupe sur la meilleure façon de rendre dingue les cavaliers les plus aguerris. Ils se rassemblent, nous regardent, rigolent de notre faible condition, conspirent, échanges des messes basses, échafaudent des plans machiavéliques et retournent à leurs petites activités comme si de rien n'était, guettant ainsi le premier candidat à tomber dans leur chausse-trape.
Oh, je sens tout de suite venir un procès en anthropomorphisme. Mais que voulez-vous, en matière d'équitation, je reste un grand naïf. Prêter des sentiments humains aux chevaux, c'est un peu comme la paix dans le monde, on n'y croit pas vraiment, mais on l'espère parfois.

Vilain comme je suis, je profite bassement de l'absence de Nikko ce soir pour lui chiper son cheval, et Esparade semble en être le premier surpris. A l'issue d'une première prise de contact, et après qu'il ait repéré le licol fermement tenu dans ma main droite, ce grand échalas décide de jouer avec mes nerfs.
D'abord en me présentant ses fesses, ce qui induit une situation assez peu favorable pour lui enrubanner le museau. Puis en se dérobant systématiquement à mon approche, mais de façon subtile, sans prendre le galop, juste en accélérant le pas au moment précis où je pensais lui mettre la main sur la crinière. Enfin en allant jouer à cache-cache derrière son grand copain Don Nuevo. Ce dernier, sous un air nonchalant, faisant semblant de brouter quelques touffes d'herbe, semble par ailleurs prendre un certain plaisir à jouer les barrages mobiles.
Après cinq bonnes minutes de ce petit jeu, Esparade, avec un air de grand seigneur, se plante finalement sur ses gambettes en mimant un signe de tête l'air de dire "Okay, c'est bon, je te laisse venir".
Manière de bien me faire comprendre que le maître du jeu, c'est lui.
Saleté.

Une fois paré de tous ses attributs de travail, nous voici en carrière pour une détente des plus agréables. Quelles que soient les allures, je me sens étonnement bien en selle. Au trot sans étriers, j'arrive par de subtils mouvement du bassin à dompter son petit rebond, et il me semble avoir, pour un fois, une position relativement correcte pour ces quelques petits tours de galop. Seul petit bémol sur la partition, Esparade me semble un poil endormi. Pour le réveiller, j'entreprends de lui chatouiller une épaule avec le flot des rênes. Mais il suffit que je le prenne dans une main pour qu'il allonge de lui-même le pas... avant de ramollir quelques foulées plus tard...
Hum, on veut jouer, hein ?

Exercice du jour : passer quelques barres au trot assis, marquer un arrêt prolongé, puis repartir au pas avant de demander un galop à main droite. A priori, rien de bien compliqué donc...
Je m'élance pour mon premier passage, m'assois correctement dans ma selle, passe entre les cônes qui matérialisent le début de l'exercice, franchit sans encombre les barres au sol et obtient un arrêt franc que je prolonge cinq bonnes secondes.
Jusque-là tout va bien.
Puis départ au pas, je place les aides comme prévu par le code de la piste édition 2011, et obtiens un magnifique... départ au trot...
Sous la selle, ce gros nigaud d'Esparade rigole comme vache qui pisse, bien content de ce vilain tour qu'il vient de me jouer devant l’œil médusé de La Monitrice.
Après que chacun ait effectué son exercice avec des résultats contrastés, elle nous convoque pour un petit débriefing...
- Bon... Vous êtes au pas, vous placez vos aides correctement et votre cheval ne part pas... Pourquoi ?
Bien entendu, un ange passe. Comme, en l'état actuel de nos connaissances, il est improbable qu'un cheval ne puisse obéir à un départ au galop dans les règles, nous établissons tout un palmarès d'hypothèses farfelues :
- Il n'a pas envie ?
- Nan, cherchez encore.
- Il a vu passer un poulain ?
- Ya pas de poulains, cherchez encore.
- Il se fout de nous ?
- Ce serait bien possible ! Nan, si votre cheval ne part pas au galop, alors que vos aides sont placées correctement, c'est qu'il manque d'im-pul-sion.
C'était donc ça ! Promis, à la première occasion, je file dans mon magasin d'équitation préféré acheter une pleine boite d'impulsions.
Et La Mono de poursuivre :
- Et si votre cheval manque d'impulsion, c'est que vous avez mal effectué votre détente.
Ah... Bon, inutile donc d'aller faire des emplettes cette semaine, j'aurais sous doute eu l'air malin devant le vendeur...

Bref, nous y retournons, après avoir au préalable injecté un peu d'impulsion dans le réservoir. Résultat, Esparade part au trot comme à Vincennes, franchit les barres en les survolant et s'arrête laborieusement en travers avec les pires difficultés à rester en place. Mais part au galop à la première sollicitation. Victoire !
Ah, on fait moins le malin maintenant, Môssieur le Grand Bai ?

La Mono :
- Vous déchaussez les étriers et refaites la même chose en demandant un galop à gauche !
Bien. Maintenant qu'Esparade a compris qui était le patron, il n'y a plus qu'à s’exécuter sereinement ! Mais cette tête de mule n'arrive plus à tenir en place à l'arrêt, ayant sans doute intégré l'exercice dans son subconscient et anticipant chaque demande à venir. En bataillant un peu, beaucoup même, j'arrive peu ou prou à le tenir en ligne. Je lui demande le pas, puis enfin le galop à gauche.
Bien entendu, ce farceur part à droite... et quatre fois de suite, s'il vous plaît ! Pour lui remettre les neurones à l'endroit, je le cale sur la piste à gauche pour enfin obtenir un départ correct. Mais quelle bourrique celui-là !
Mais je lui pardonne, il a décidément un galop drôlement chouette, et j'éprouve des scrupules à l'arrêter à l'issue de la séance...

Cette reprise achevée, je le libère dans son pré, lui fait un bisou-carotte et, alors qu'un barbecue est prévu ce soir, c'est la météo qui décide à son tour de nous faire une bonne blague en faisait tomber une abondante pluie d'orage. Fort heureusement, elle s'arrêtera bien vite, au contraire de la soirée farce qui, elle, continue son œuvre...

Alors que les premières pépites de charbon commencent à s'embraser, le Grand Barbu, un truculent petit bonhomme chargé des balades à poney le dimanche et les jours fériés, se présente à nous à moitié couvert de boue : un shetland lui a échappé des mains et gambade en ce moment précis dans son pré avec son licol et la longe entre les pattes. Une expédition de cinq braves volontaires est alors mise en place pour aller mettre la main sur la farceuse.
Puis six. Puis sept. Puis huit, neuf, dix... Toujours sans aucun succès. La ponette shetland nous fait une magnifique démonstration de techniques rugbystiques avancées. Démarrage, accélération, crochet, cadrage-débordement, Lolita, c'est son petit nom, nous ressort toute la panoplie d'un trois-quart centre de classe internationale.
Au bout d'une vingtaine de minutes de chasse-patate, et la faim commençant à nous tirailler l'estomac, il est de plus en plus admis qu'un shetland à la broche supplierait à merveille merguez et autre saucisses grillées.

La bestiole débarrassée de son licol - et relâchée saine et sauve, le repas avalé dans la bonne humeur, la météo nous fera un dernier caprice juste avant le dessert.
Bah, pas grave, même la pluie était joyeuse ce soir !

mardi 7 juin 2011

Mythes et légendes

06 juin 2011

Imaginez.
Imaginez un bord de mer enrobé d'une douce chaleur. Une longue plage de sable fin d'une jolie couleur ocre au contact accueillant, une mer turquoise à peine troublée par quelques vagues qui viennent s'échouer avec une divine sonorité, et un ciel d'un bleu azur aussi profond que les yeux d'Olivia Wilde. Une brise emplie d'embruns et de senteurs marines vient délicatement nous caresser le visage et apporter un léger brin de fraicheur.
A cette heure matinale, l'endroit est désert, pas une âme qui vive, pas une promeneur du dimanche, pas même un pêcheur de crevettes. Tout juste peut-on apercevoir au loin la vision furtive d'un majestueux cheval blanc galopant toute crinière au vent, monté par une jeune fille à la longue chevelure blonde et finement bouclée, simplement habillée d'un linge de coton blanc trempé par les embruns, et donc passablement transparent. L'image rêvée de l'équitation ultime, du cavalier libéré de toute contrainte et ne faisant plus qu'un avec sa monture...

C'est un petit peu l'image d’Épinal qui m'a traversé l'esprit au moment précis où La Monitrice nous a proposé de retirer nos selles afin de se confronter pour la toute première fois aux joies de la monte à cru. Enfin ! Nous allons nous attaquer au mythe, à la légende, à cette pratique équestre qui fait pétiller les yeux des jeunes filles et accessoirement vendre quelques cartes postales aux visiteurs de passage.

Aux regards des reprises des jours précédents, j'avais eu vent du thème de la séance du jour. Je ne suis donc pas étonné de retrouver les chevaux réputés pépères au milieu du manège où nous avons trouvé refuge en lieu et place de la carrière passablement inondées par les orages de ces derniers jours. Seul Nikko semble avoir touché le gros lot en se voyant attribuer Granolat, dont l'inconfort au trot est aujourd'hui une référence mondiale, ou presque. Il est manifestement puni de son absence de la semaine dernière.
Et toc.
Je suis plutôt bien loti avec Mowara. Sans être totalement confortable, cette juju reste agréable à toutes les allures et je suis heureux de pouvoir effectuer cette première expérience sur un dos bien rebondi.

Après la traditionnelle détente, nous déposons donc selles et tapis sur les barres qui garnissent le fond du manège. Commence alors le ballet hilarant des cavaliers tentant avec plus ou moins de réussite à se hisser sur le dos de leurs montures respectives par leurs propres moyens. Je ne suis pas forcément le plus doué dans l'exercice, une aide extérieure ne sera pas de trop pour arriver au sommet du Mont Wara.

Les moues dubitatives et les gros yeux exorbités de mes camarades traduisent avec beaucoup de sincérité nos premières impressions.
Donc, effectivement, ça glisse. Rien de bien méchant, je m'y attendais un peu.
Mais aussi, ça tient chaud. Forcément, directement au contact du cuir, l'effet radiateur est particulièrement sensible. Heureusement que les températures se soient passablement radoucis depuis deux jours, l'exercice de sauter sur le dos de nos bestiaux nous a déjà fait suffisement transpirer.
Mais ce qui me frappe à la seconde même où j'ai posé mes fesses sur le dos de la Mô, c'est que je suis d'abord assis sur sa colonne vertébrale ! Je sens très nettement les épines dorsales venir me chatouiller le coccyx un peu comme si j'étais assis sur une barre crantée. Outre que je trouve ça particulièrement inconfortable, j'ai la sensation affreuse que je vais lui péter une vertèbre à chaque mouvement !
Ça, pour sentir les mouvements du cheval, je les sens...

Pour mettre en pratique cette nouvelle facette de l'équitation, nous continuons la séance avec une série de petits jeux habituels : relais aux quatre coins et éperviers. Avant de me lancer dans un premier galop inédit, La Monitrice m'adresse une petite mise en garde :
- Tu vas voir, Daniel, Mowara elle est très joueuse...
- Hein ? Comment ça ???
- Tu verras...
- Ah mais 'fallait rien me dire ! Je suis tout crispé là maintenant !
Bon, pas vraiment en fait. Je crois que l'excitation du moment prend le pas sur toute appréhension. C'est donc avec une réelle impatience, mais la main sur la crinière, que je lance ma monture pour ce premier galop à cru.
Aides en place, départ propre et immédiat à la bonne allure, jusqu'ici tout va bien. Et c'est au bout de la première longueur que Mô me rappelle ce petit détail qui tue, et qui prend alors toute son importance une fois sa selle remise au placard.
Mowara est archi-chatouilleuse du garrot...
Et voilà que je te fais un joli stop.
Et voilà que je te baisse la tête.
Et voilà que je te secoue le cocotier.
Et voilà que je repars bille en tête le nez en l'air.
(Petite séquence à faire tourner en boucle).

A ce moment précis, je ne suis plus cavalier, mais juste un passager trimballé sur une attraction à émotion forte se cramponnant à tout ce qu'il se trouve pour ne pas retourner poussière.
Dans la confusion, il me semble avoir constaté que mes collègues n'avaient pas franchement l'air plus malin, à la grande hilarité de l'assistance venue en nombre assister à cette grande première. Finalement, il faut peu de chose pour nous rappeler que nous restons encore d'indignes cavaliers...

A l'issue de cette série de jeux conclue dans le bazar le plus total, nous terminons la reprise par une petite séance de mise en selle sans selle. S'en serait presque reposant, dis-donc ! A l'exception bien entendu de Nikko qui fait des bons de vingt centimètres à chaque foulée de trot sur la Grano.
Hihi.

Une fois pied à terre, selle et tapis sous le bras, nous en arrivons tous à la même conclusion. La monte à cru, finalement c'est très surfait...

D'ailleurs, la plage de sable fin est blindée d'algues vertes qui sentent le gaz. La cavalière se prend une fiente de goëland sur ses cheveux pleins de sable et bascule lamentablement dans une flaque malodorante. Sans doute dans sa chute s'est-elle fait écraser le tibia par le postérieur du cheval dont elle avait auparavant oublié de dévisser les crampons. L'histoire ne le dit pas.
Mais comme on dit, si la légende est plus belle que la réalité, écrivons la légende...