lundi 12 décembre 2011

D'une légende à l'autre

Jeudi 8 décembre 2011

Deux pleines boites de mouchoirs n'auront pas suffit à sécher les larmes. Ces trois journées passées depuis la nouvelle de la disparation soudaine et brutale de Quick m'auront semblées interminables. Je garde le cœur lourd et l'estomac noué en repensant à tous ces bons moments que nous avons partagés ensemble, le gros shetland et moi.

L'émotion et la tristesse sont partagées par tous ceux que je croise au centre équestre. Que l'on appréciât Quick ou non, c'était un cheval qui ne laissait personne indifférent.
A la porte de son box désespérément vide, je colle un petit cœur rose en guise d'hommage certes dérisoire, mais symbolisant tout l'attachement dont je pouvais faire part à son égard et qui m'accompagnera sans doute à jamais.

Et pourtant, en dépit des circonstances, je suis heureux d'être présent ici, au milieu des autres chevaux avec lesquels je sais que de belles choses restent à partager.
Je pense au casse-tête ainsi offert à La Monitrice qui doit désormais composer avec la disparation de mon "cheval de tête", même si le terme peut paraître un peu pompeux mais c'est assez l'idée que je m'en faisais. Tout le monde semblait se satisfaire que je détienne l'exclusivité de la bête lors des séances de saut. J'étais "le cavalier qui montait Quick", cette sale bête qui terrorisait les petits comme les grands ! Et c'est certainement ce dont je lui suis le plus redevable, car plus que tout autre, Quick me rendait fier.

Je ne tiens plus en place. Je suis tellement impatient de découvrir comment La Mono s'est dépatouillé avec cette nouvelle donne. Mais ce soir, la surprise est totale...

Le Petit Gris est bien le dernier cheval avec lequel je pensais m'associer...
Je cligne des yeux trois fois et vérifie l'affectation à plusieurs reprises, mais il n'y a aucun doute, Solo sera mon compagnon de manège ce soir. Oui, Solo, l'autre légende du club, le gamin anglo-arabe dont les allures aériennes avaient rempli mes yeux d'étoiles la toute première fois que je l'avais admiré en reprise, et dont l'éducation encore très perfectible et son caractère flippé le réservait jusque-là à des cavaliers d'un niveau autrement plus relevé. De plus, esthétiquement il est d'une rare perfection, habillée d'une robe gris pom-pom du plus bel effet.
Il m'impressionne, je ne me sens pas prêt, les évènements ont drôlement précipité les choses. Ce n'est pas tout à fait les conditions dans lesquelles j'avais imaginé l'évènement, mais pour la première fois depuis ce fichu matin, un semblant de sourire vient enfin dérider mon visage. Car si le défi me semble titanesque, nul doute que Solo lui aussi saura me donner une bonne dose de fierté.

Dans son box, le P'tit Gris est tellement propre qu'il semble sortir directement du pressing, lavé, repassé, amidonné. C'est d'autant plus flagrant qu'au même instant Yo rentre dans l'écurie suivie d'un pâté en croûte ambulant dont la gangue laisse vaguement deviner qu'un grand poney se cache à l'intérieur, baptisé Self, mais qui n'a rien d'autonettoyant. Trois cavaliers dont ma pomme, armés d'étrilles américaines, seront nécessaires avant de pouvoir déterminer s'il est blanc ou noir.
Profitant de savoir que Yo a déjà pratiqué Solo à plusieurs reprises, je profite de cet instant pour glaner quelques informations sur les impressions en selle.
- Alors, il est comment le Solo ?
- Un peu sur l'œil, il a peur de tout. Il a parfois tendance à reculer, il ne faut pas le laisser faire.
- Je fais quoi dans ce cas ? Un bon coup de cravache ?
- Nan, surtout pas ! Il est déjà assez vif comme ça ! Il faut s'imposer, tu lui mets quelques gros coups de talon s'il recule, et tu le places sur un cercle s'il s'emballe au galop, ce qu'il ne manquera sûrement pas de faire...
Bête délicate donc... Bon, je lui fais une séance de pansage appliquée, tout en lui parlant tranquillement et finit par lui tresser partiellement sa crinière, cinq nattes disposées à intervalle régulier le long de son encolure. C'est mignon.

Dans la carrière, à peine suis-je monté en selle qu'il part déjà sur la piste d'un bon pas, je dois le canaliser pour qu'il n'engage pas le trot de lui-même. Je confirme, pas besoin de cravache...
Il est en effet assez délicat à diriger, il faut user largement de l'incurvation pour le faire tourner, et j'ai également du mal à le faire partir au galop proprement. Je peine à le maintenir sur la piste et obtenir un départ aux aides. Après quelques foulées de galop, il a tendance à reprendre le pas et rejoindre les copains au centre du manège, mais en insistant, il finit tant bien que mal à placer une belle accélération dans la longueur à faire pâlir de jalousie un pilote de l'Aéronavale aguerri.
Mon premier "waow" de la soirée... Quelle énergie !

Ce soir, c'est donc saut. Nous commençons au trot par un croisillon disposé dans la diagonale, avec comme consigne de prolonger la trajectoire jusqu'au coin en face avant de reprendre la piste. Mais Solo n'aime pas les coins. La première fois il coupe à gauche directement après l'obstacle, la seconde il tente de partir à droite et je le recadre in-extremis avant qu'il ne s'encastre dans le pare-bottes. Pas facile à tenir en ligne droite, le gaillard...

Après cette mise en bouche, il s'agit à la suite de ce premier obstacle d'aller reprendre la piste, puis doubler dans la largeur pour passer un second vertical, toujours au trot. On sent qu'il a du rebond sous le pied, il avale les barres avec une belle sécurité.
Jusque-là, le Solo, même s'il reste relativement insaisissable, est particulièrement sage, au grand étonnement de La Monitrice.
- Dis-donc Daniel, il est drôlement calme, ce soir. Tu lui as donné un Lexomyl ou quoi ?
- Du tout, juste des câlins et de l'amour !

Bien entendu, c'est une fois cette phrase malencontreusement lâchée que la bestiole décide de sortir la boite à bêtises. Je suis sensé faire prendre le trot pour aller attaquer le vertical dans la largeur, mais le P'tit Gris décide que ce sera galop ou rien. Je commence à froncer les sourcils, mais au moment où je le pensais enfin revenu à de meilleures intentions, voilà qu'il me place un magnifique Roll Back digne des plus grands maîtres du reining. Par cohésion, je fais de même, effectue en l'air une vrille complète avant de retomber par terre la tête dans le sable. Miam miam, je comprends pourquoi les gâteaux sablés sont baptisés ainsi.
Je me relève en tâchant de garder un certain flegme, La Monitrice vient alors aux nouvelles.
- Oh, Daniel, tu as un magnifique fond de teint ce soir !
- Oui, certainement le côté féminin de mon équitation qui ressort !

Je remonte en selle sans plus de dégât, et reprend le parcours là où j'en étais.
Départ au trot donc, je quitte la piste et double dans la largeur, essuie une série de refus avant d'arriver à sauter proprement. Je demande le galop instantanément, enfin une demande promptement exécutée ! Je fais un demi-tour de manège, prend la diagonale, et vient me frotter à ce second obstacle lancé comme une fusée. Le saut est royal, limpide, aérien. Du bonheur. Le regard porté loin vers le coin, je l'incite à poursuivre son effort jusqu'au coin pour terminer en virage à gauche.
Et vlan, il préfère partir à droite et me place son second Roll Back de la soirée. Ejection douce, je rebondis contre le pare-bottes et atterrit proprement sur mes deux pieds. Je proteste vigoureusement :
- Ah non, celle-là, elle compte pas comme une chute, hein !
- Mais si, mais si, ça fait deux !

Bon, je remonte en selle et vient m'arrêter au milieu. Mais non. Solo est intenable. Un coup j'avance, après je tourne, puis je recule, et vas-y que je bouscule les copains...
Si je résume bien :
- Quand on demande le pas, il part au trot.
- Quand on demande le trot, il part au galop.
- Quand on demande le galop, il vient s'arrêter au milieu.
- Quand on demande un arrêt, il décide de vadrouiller.
- Quand on veux l'emmener à gauche, il part à droite et inversement...
Pour résumer, Solo, c'est un savon qu'on essaierait d'attraper avec les mains mouillées. Pas vraiment un cheval de mon niveau, mais en dépit des deux gamelles, j'ai pourtant le sentiment de ne pas m'en être si mal débrouillé finalement...

En ramenant le P'tit Gris à l'écurie, je croise La Monitrice venue aux nouvelles.
- Alors, le Solo ?
- Ben, pas simple à maîtriser, ni dans les trajectoires, ni dans les allures.
- Tu as vu, hein, c'est une anguille !

L'anguille, c'est assez bien vu... Je me tourne vers Solo et lui dit dans les yeux :
- Je crois que tu viens de te trouver ton blaze, mon p'tit gars !

Je rentre chez moi, le cœur nettement allégé ce soir par la grâce de l'Anguille. Il possède lui aussi quelques capacités d'attachements auxquelles je ne pense pas résister longtemps...

En me glissant sous la couette, j'écrase une dernière larme en repensant à Quick. Son image reste gravée définitivement du côté du cœur, mais il ne devrait pas rester seul trop longtemps, la place y est illimitée.

5 commentaires:

  1. Un très bel article, qui réchauffe le coeur après cette terrible nouvelle.

    Une jolie rencontre qui promet encore de belles aventures :) La Mono a eu du flair, de te le donner ce soir là.

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  2. Je pense aussi que c'était vraiment le bon moment pour monter un tel cheval!
    Il a l'air de t'avoir bien remonté le moral ce petit gris.
    J'espère que tu vas mieux...

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  3. Le temps fait son oeuvre. Les chevaux sont certes des bêtes à chagrin, mais ils possèdent également des facultés incroyables pour nous remonter le moral. ;)

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  4. Coucou Daniel, c'est Johanna du club, je découvre ton blog et je trouve tes articles très bien rédigés. J'ai beaucoup aimé le surnom de Self dans celui ci "Paté en croute" hihi c'est vrai qu'il était tellement plein de boue ce soir la :p

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