mercredi 13 novembre 2013

Chat noir, sorcières et gros doudou

Vendredi 1er novembre 2013

En regardant dans le rétroviseur mes trois années d'équitation passées au club, je commence à me demander sérieusement si je ne suis pas le porte-poisse de service.
De tous les moniteurs et monitrices qui m'ont un moment ou un autre donné un cours, ne serait-ce qu'une demi-journée, aucun n'a réussi à passer l'été suivant, ou presque. Ils sont tous partis pour différentes raisons.

La veille au soir, le jour même de Halloween, je pousse la perfidie d'en faire part à l'ensemble des moniteurs présents, Bé, Vé, et ces demoiselles LaGrande et LaPetite.
Lequel d'entre eux sera touché le lendemain par ma malédiction ?

Quand je me retrouve dans le bureau au matin de ma reprise, j'ai donc face à moi quatre moniteurs et monitrices absolument terrorisés. Même si leurs visages semblent totalement impassibles, je ne suis pas dupe, ils savent pertinemment que l'un d'entre eux sera sacrifié sur l'autel de ma formation équestre.

Vé, sous un air détaché, m'adresse en premier la parole :
- Tiens, Daniel, tu sais que c'était Halloween hier soir ?
- Bien sûr, c'est pour ça que vous êtes tous déguisés en sorciers et sorcières aujourd'hui, n'est-ce pas ?
Quatre paires d'yeux se tournent alors vers moi, d'un coup d'un seul, et je crois y percevoir quelques départs d'éclairs...
Je lâche d'un air pincé :
- Ah, vous z'êtes pas déguisés, en fait...
Vé me reprends ainsi :
- Daniel, si tu nous offres un café, tu as le droit de choisir ton cheval !
A côté de moi, les gamines, à savoir ma fille et celle du patron, se mettent à sauter dans tous les sens pour faire entendre leur voix :
- Oh oui Papa, prends Momo s'il te plaît ! enchaîne Fifille.
La fille du patron a un tout autre avis :
- Nan, prends Titan !

Voila qui me laisse perplexe... Mowara est une valeur sûre, une vieille et fidèle amie qui m'accompagne depuis mes tous débuts, mais Titan a quelque chose d'incroyablement attrayant. C'est un jeune cheval arrivé il y a peu en renfort au club, très maigrichon à l'époque mais qui a profité de l'été pour se remplumer proprement. Fini les côtes apparentes, c'est devenu une bête sublime, un espèce de cob qu'on verrait bien tirer une roulotte gitane haute en couleur.
La puissance et l'épaisseur de ses membres inférieurs sont contrebalancées par la grande finesse de son corps dans un effet de contraste saisissant. Ses longs crins noirs ondulés donnent une envie folle de les caresser longuement et y laisser trainer la main comme dans la chevelure d'une jeune fille.
Bref, il est beau, il est grand, il attire l’œil irrémédiablement.
J'ai même eu la chance de monter dessus - et à cru - une seule et unique fois au mois de juin dernier. Il arrivait à peine d'Irlande, et avait du mal à répondre aux codes et aux aides traditionnellement enseignés. Ce qui en faisait un cheval plein de bonne volonté, mais qui ne comprenait rien à ce que je lui demandais...

Je feins quelques instants l'hésitation... Avant d'opter finalement pour ce grand bai. Je précise au passage, en me tournant alors vers LaGrande (qui est au passage une bien vilaine monitrice), que j'accepte volontiers la tournée de café, je ne voudrais en aucun cas laisser le soin à cette dernière de choisir pour moi le cheval casse-gueule du moment d'en l'espoir que je lui confectionne ses cookies préférés pour le lendemain.
Elle répond alors avec un regard de chat Potté :
- Oui, mais Daniel est tellement gentil que même sans tomber il nous fera des gâteaux... :)

J'en rougis quelques secondes, le visage de LaGrande s'orne d'un grand sourire charmeur, comprenant alors qu'elle venait de gagner la partie.
Quand je vous dis qu'elle est vilaine...

Elle s'en sort doublement bien, ce sera LaPetite qui fera office de monitrice et se voit donc être victime du mauvais sort, ha ha !

Je pars prendre en compte Titan. C'est définitivement une bête qui en impose, quel engin ! Après un pansage appliqué, je m’apprête à lui curer un premier pied. Il me donne son antérieur, je le prends dans la main, et je laisse échapper un sifflement d'admiration en contemplant le gigantisme de son sabot.
Je remets le cure-pied dans sa boite, ressors du box, et m'en vais interpeller LaGrande qui passait dans le coin pour lui demander si elle n'aurait pas plutôt une pioche à me prêter, accessoire autrement mieux dimensionné.

Une fois le Géant apprêté et câliné, direction la carrière où sont déjà installés mes petits camarades. "Petits", ce n'est pas un adjectif employé dans un sens affectueux, c'est à prendre directement au premier degré : l'âge des quatre autres cavaliers additionnés n'approche pas le mien, et de loin...
Non, non, non, je ne suis pas un méchant ogre !

Début de la reprise, et première bonne surprise à la détente : j'avais quitté un Titan lourd et peu réactif au mois de juin, je retrouve aujourd'hui une bête généreuse, active, précise dans les aides, s'incurvant correctement à chaque côté, ou presque. Quelle métamorphose !
Je ne peux m’empêcher d'esquisser un franc sourire, et en passant devant une spectatrice attentive assise au bord de la carrière, je lui adresse un "il est top" plein de tendresse et de compassion.

Ce n'est pas parce-que la moyenne d'âge des participants est particulièrement basse que nous allons nous tourner les pouces pour autant. La monitrice met en place un parcours de barres au sol formant une espèce de spirale et balisé par des cônes de signalisation.
Il s'agit d'un travail sur le regard, consistant à diriger sa monture sur des cercles de plus en plus petits.

Titan s'en sort très bien, au pas comme au trot.
Pour réaliser l'exercice au galop, et compte tenu du format de la bête, il m'est proposé de me contenter uniquement du grand cercle.
A gauche, ça passe facile.
A droite, je fais une vilaine erreur, je porte mon regard trop sur le devant de la trajectoire au lieu de le tourner franchement vers la barre opposée. Titan tire tout droit, je corrige trop tard, et il bifurque de façon suffisamment brusque pour que le cavalier se sépare de sa monture.
Grosse réception sur les fesses (technique 7, artistique 8), et, comme à chaque fois que je mords la poussière, et quelque-soit la partie du corps qui tape le sol en premier, de douloureuses crampes apparaissent à chaque mollet.
Cherchez pas à comprendre.

La monitrice vient s'enquérir de ma santé, je me redresse fièrement, fait mine que tout va bien et retourne en selle refaire proprement l'exercice.
Quand même, ça pique un peu...

Nous terminons la séance sur un Éperviers où je prends un malin plaisir à faire tourner en bourrique les petits chasseurs, ha ha !

Fin de la reprise et retour des montures aux boxes. En dépit de sa petite farce, Titan est un cheval absolument délicieux dont je suis déjà sous le charme.
Je l'aime.

En sortant de l'écurie, je croise LaGrande, et lui annonce piteusement :
- Tu sais quoi ? Je n'aurais même pas besoin d'être gentil pour t'apporter des gâteaux demain !

Je me suis fait une amie.

Puis direction le resto pour avaler une bonne pizza avec Bé, les gamins, et une cavalière sarcastique qui prétend me piquer mon Titan.
Et pis d'abord, c'est moi qui l'ai vu en premier, non mais !


Début de l'après-midi, LaPetite me propose de monter Granolat pour la reprise à venir. Je lève les deux bras aux ciels en laissant échapper un gros "oui". Je vais retrouver ma Grano chérie !
Sauf que...
Est-ce vraiment une bonne idée de monter durant plus d'une heure une trotteuse tape-cul quand j'ai les fesses qui commencent à lancer sévèrement ?

Après dix minutes de détente, la réponse est définitivement négative. Quand je pense que je ne peux même pas "serrer les fesses" pour passer outre la douleur...
Ce n'est pas grave, s'il le faut, je ferai toute la reprise en équilibre. Et mine de rien, c'est sensiblement ce que je fis.
Une semaine plus tard, mes guiboles s'en souvenaient encore.

Quelques autres exercices de barres au sol plus tard, j'éprouve, une fois n'est pas coutume, un réel soulagement au moment de mettre pied à terre. Oh, ma petite Grano, je suis bien triste que nos retrouvailles se soient déroulées sous le signe de la douleur, snif, snif...

Nous nous attardons un peu avec Fifille dans le centre équestre, le temps de savourer un répit bien méritée après une belle journée à cheval.

Au moment du départ, je viens amicalement saluer la monitrice, LaPetite, qui a superbement mené la reprise en dépit des niveaux bien différents de chacun.

Sérieusement, je serais fort triste que ma malédiction ne l'atteigne à la fin de l'année...

En fin de compte, ce qu'il y a de plus dur en équitation, c'est le sol.

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