vendredi 25 novembre 2011

Le bureau des plaintes

Jeudi 24 novembre 2011

Depuis le départ à retraite du vénérable Tartuffe, le poste de doyen du club est désormais dévolu à Don Nuevo, vingt-et-un ans aux prunes. J'ai toujours apprécié sa compagnie lors des quelques reprises qu'ils nous ont été données de partager, je suis heureux de le retrouver depuis tout ce temps, cette vieille branche.
Son box est situé sensiblement au fond de l'écurie. En allant le rejoindre, j'en profite pour passer le bonjour aux équidés qui ont la délicatesse de sortir leurs naseaux de leurs boxes pour me voir ainsi déambuler.
Je m'arrête longuement devant celui de Solo. Un bel anglo-arabe de taille moyenne, à la ligne élancée et à la robe gris-pommelé qui fait fondre tout le monde dans le centre équestre. Solo, c'est un bogoss, jeune et impulsif, encore un peu rustre dans son éducation et qui n'est encore réservé qu'aux cavaliers confirmés. Ce qui est bien entendu loin d'être mon cas, mais il me fait de l’œil le grisou. Un jour peut-être...
Il me rappelle une cavalière qui appréciait tout particulièrement le monter, avec une certaine classe je dois dire. Une fois ses reprises terminées, elle prenait sa plus belle plume et prenait grand soin de me rendre jaloux en me racontant ses reprises, avec une verve et un humour qui me manquent aujourd'hui. En grattouillant longuement Solo entre les oreilles, son point sensible justement découvert par cette cavalière, j'ai une petite pensée pour elle...

A côté du box de Don Nuevo, Maricha est toute impressionnée à l'idée de monter le grand Esparade. Connaissant un peu le bestiau, je fais au mieux pour la rassurer.
- C'est un gentil garçon. C'est juste qu'il aime bien galoper !
- Ah... Ben, ça ne me rassure pas vraiment...
- Au contraire, il est super bien dressé et répond finement aux aides. Une légère mise en place, et il part comme une fleur.
- Gasp...

Je fais un brin de toilette à Don Nuevo. A l'instar de son collègue Quick, il est tout-beau tout-doux tout-brillant, c'est une époque bénie pour les câlineux de mon espèce, et je prends plaisir à me lover dans son poil de doudou. Alors que je le croyais plutôt insensible aux câlins, La Monitrice m'a fait part d'un point sensible remarquable. Juste derrière l'épaule, un peu sous le garrot, passer la brosse avec délicatesse met ce grand bai mal foutu dans état quasi cataleptique. Campé raide sur ses jambes, totalement immobile ou presque, il est comme hypnotisé et sa lèvre inférieure se met alors à trembloter avec insistance. S'il disposait de l'attribut idoine, sans doute qu'on l'entendrait ronronner à travers tout le centre équestre.

Voilà qui est de bon augure pour la reprise à venir. A peine la détente est-elle entamée que La Monitrice nous propose de rallonger les étriers d'un bon trou. Ce soir, c'est donc dressage.
Et l'ouverture du bureau des plaintes.
- Mais c'est trop long pour moi autant ne rien mettre !
- D'accord. Enlevez-vos étriers alors.
Et toc.
Moi, je m'en fiche en peu. Sans trop expliquer pourquoi, le travail sans étriers, j'aime bien ça. C'est une façon unique de ressentir les mouvements de sa monture et de faire corps avec elle. Et Don Nuevo est vraiment magique ce soir. Il part au galop au souffle de la botte, tient une allure sans à-coups, se laisse guider avec une légèreté rare et m'entraine dans plusieurs tours du manège qui finissent par me rendre à mon tour quasi cataleptique, comme s'il me redevait l'instant de pansage que je lui avais offert quelques instants auparavant. J'en garde encore une vraie émotion, que la suite des plaintes en rafale n'arriveront même pas à entamer...

- Monitrice, Granolat, au galop sans étriers, je sens que je vais tomber !
- Essaye quand-même...
- Monitrice, Il y a Hidalgo qui veut pas partir au galop !
- Fâche-toi !
- Monitrice, Esparade, au galop, je ne le sens pas...
- Mets-toi sur un cercle, ne t'accroche-pas au rênes, et galope bon sang !
Je décide de me mettre à la page en cherchant de quoi rouspéter auprès des autorités compétentes, mais en passant devant La Mono, la seule parole qui arrive à s'échapper de ma bouche est un tendre "Bon Pépère" adressé à Don Nuevo et un petit air de musique vient envahir mon cerveau... De quoi je vais me plaindre ? De quoi je vais me plaindre aujourd'hui ?

Après que chacun ait travaillé son cheval au galop aux deux mains avec plus ou moins de réussite, nous retournons explorer les mystères des hanch' end'dans vus la semaine dernière. Je m'y applique avec plus ou moins de réussite, plutôt moins que plus d'ailleurs, quand j'entends derrière moi une collègue pousser un petit cri d’orfraie suivi d'un splash sablonneux caractéristique. Hidalgo vient de foutre par terre sa cavalière...
Cette chute fait s'emballer Quartz, qui, à son tour, renverse sa propriétaire et part au galop bille en tête, semant la panique dans le manège et entrainant à sa suite l'ensemble de la reprise dans une folie contagieuse.
Don Nuevo n'y échappe pas. Le sentant partir sans que je ne lui ai demandé quoique ce soit, je tâche de rester détendu, me redresse tranquillement et calme la bête comme le font le reste de mes collègues qui sont restés assis sur leurs selles respectives.
Personne n'ayant réellement assisté à la scène initiale, les interrogations fusent de tous les coins.
- C'est Hidalgo qui a vu s'envoler un oiseau, justifie sa cavalière, ça l'a fait paniquer !
Hitchcock avait raison. Les oiseaux, c'est traitre.

Nous reprenons nos exercices d'origami, me fait corriger régulièrement ma position et ma tenue de rênes, avant que la séance ne s'achève quelques instants plus tard. La Monitrice prononce alors le mot de la fin :
- Bon. La semaine prochaine, nous travaillerons la contre-incurvation. Z'avez intérêt à réviser !

Ah mais, il n'y a pas de soucis. Epôl' end'dans, passage, piaffer et autres croise-papattes, je suis toujours disposé à faire des nœuds avec les chevaux !

Je lui ai fait un gros câlin à Don Nuevo. C'est fou comme les vieux chevaux peuvent être attachants. On imagine sans doute les vieux bêtes de clubs passablement usées, à la bouche dure et désensibilisée par des armées de cavaliers maladroits. Ce vieux clou est décidément une belle surprise.

Lui aussi, je l'aime.

Allez, je pars réviser la contre-incu'. Jeudi prochain, j'ai interro !

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