mardi 9 novembre 2010

Une éclaircie dans la grisaille

8 novembre 2010

La veille, pendant la journée du dimanche, je m'étais bien moqué de mes petits camarades des galops supérieurs. Tous les élèves de La Monitrice, qu'ils soient du matin ou de l'après-midi, ont eu droit à une séance de mise en selle éprouvante. Elle consistait à rester en équilibre pendant une bonne vingtaine de minutes sur des étriers raccourcis façon jockey, ou presque, aux trois allures, et sans bien sûr reposer la moindre fesse sur la selle sous peine de se faire desserrer la sangle de trois bons trous à chaque infraction constatée.

Moquerie, certes mais aussi admiration, car force est de constater qu'ils ne s'en tirent pas si mal, ces cavaliers. Même ma fille, pendant sa reprise shetland, est arrivée à m'épater en galopant sur sa bardette sans étriers avec les mains sur la tête !
Face aux jeunes cavaliers qui n'ont peur de rien et les expérimentés qui impressionnent le débutant, on se sent peu de choses finalement. Ce n'est pas à nous que ce genre de séance arriverait.

Ce soir, je retrouve Okilébo, officiellement baptisé Gulliver, le sublime cheval noir qui décoince. C'est une assez bonne surprise pour moi, je commence à avoir une réelle inclination pour les noirauds depuis quelques temps.
A mon arrivée, Gulli semble manifester une certaine curiosité à mon égard. Il passe sa tête par dessus la porte, me regarde avec insistance et me renifle d'un air gourmand. Les friandises sont pourtant bien cachées au fond de la musette, je dois sûrement avoir une odeur familière depuis le temps que j'arpente ces écuries. Pendant un bref instant, je me suis même laisser imaginer que je pouvais lui être sympathique. Bien évidemment j'ignore totalement ce qui se peut se passer dans sa tête à ce moment précis, mais comme beaucoup de cavaliers, j'éprouve le fantasme de croire qu'un cheval de club puisse éprouver une réelle sympathie à l'égard d'un cavalier.
Ben quoi, ça fait partie du rêve, non ?

Mais dans le box, Okilébo fait preuve d'une certaine nervosité. Non pas qu'il refuse de se laisser panser ou manipuler, mais il manifeste une réelle envie d'aller voir ce qui se passe au delà de la porte. Je trouve que c'est plutôt bon signe, je prends ça comme un gage de bonne volonté.

Après pansage dans les règles et équipement de la bête, nous sortons prendre un peu l'air avant d'entamer la reprise. Exceptionnellement, alors qu'il a plu sans discontinuer pendant plus de trois jours, le ciel s'est soudainement dégagé allant jusqu'à laisser percevoir quelques étoiles dont celle du Berger. Côté météorologie, nous sommes décidément bénis des dieux. Peut-être sont-ils sensibles aux offrandes, sous formes de petits drapeaux divers, que je dédie tous les lundis matin à Saint-Paul-le-Poulpe, saint-patron des prévisions...

Malgré la clémence des cieux, la carrière est détrempée et nous allons pour une première fois effectuer la reprise sous la toiture du grand manège. Au fond, ont été entassés jusqu'au toit quelques ballots de paille compressée, bien à l'abri en prévision de l'hiver. Ici et là, certains ballots ont été prélevés, ce qui permet à La Monitrice de se hisser à bonne hauteur et trouver un point d'observation avantageux et isolé de la fraicheur du sol. On peut considérer qu'elle est en ballotage favorable...

Ce soir, il n'y a que cinq cavaliers dans le manège. Beaucoup manquent à l'appel, sans doute refroidis par des perspectives météorologiques peu rassurantes. Je m'étais dit justement en début d'année que nous reconnaîtrons les vrais accrocs à l'arrivée des premiers frimas... Tant pis pour les autres.
M'enfin... Au montoir, je descends les étriers et m'apprête à les régler à une longueur convenable quand je constate que ceux-ci sont calés incroyablement courts. Je laisse alors échapper cette réflexion :
- Mais, c'est qui ce nain qui est monté avant moi ???
Ce détail aurait du me mettre la puce à l'oreille...

A la détente, Gulliver est fidèle à lui-même : pas trop généreux à l'effort, il faut savoir le stimuler en le caressant régulièrement sur l'épaule avec le flot des rênes. Ce coup-ci, je ne suis pas pris au dépourvu et ne me laisse pas impressionner comme lors de notre première association. Il faut bien entendu le rappeler à l'ordre de temps à autre, ce qui m'embrouille d'autant dans ses histoires de bon et mauvais diagonal au trot enlevé. Par ailleurs, ce cheval est incroyablement souple dans ses allures, à tel point que j'en ai même parfois du mal à sentir la transition du pas au trot tellement il est confortable.

Et le galop est un pur bonheur, Gulliver est un incroyable Pullman qui change radicalement de la soubresauteuse Mowara. On pourrait y avaler un café sans renverser une goutte, et je savoure un plaisir comme j'en avais rarement éprouvé à cheval auparavant. D'autant plus que le Monsieur est plutôt volontaire au galop, et qu'il n'est nul besoin de s'employer pour entretenir cette allure, amplifiant d'autant ce moment de plaisir.
Je ne sais plus combien de tours nous avons effectué ainsi, mais j'ai la ferme impression d'avoir plus galopé en une seule séance que lors de toutes les autres réunies ! J'aurais volontiers poursuivi jusqu'à la fin de la reprise, voire au delà, mais La Monitrice, du haut de son ballot de paille, avait une autre idée derrière la tête...

- Bien. Venez me voir.... Vous allez tous me raccourcir vos étriers de... allez, disons six bons trous. Vous savez tous compter jusqu'à six ? Et si vous n'avez pas six trous à vos étrivières, vous n'aurez qu'à y faire un nœud !
J'émets un rire surpris...
- Alors ça... Je ne pensais pas que tu nous ferais ce coup-là, à nous les débutants !
- Ben quoi ? Il n'y a pas de mal à faire comme les cavaliers expérimentés ! Et puis d'ailleurs, ce ne sera pas six trous que vous allez raccourcir, mais huit !
Ah la garce, elle a osé !
Elle poursuit :
- Bon, à partir de maintenant, vous allez vous mettre en équilibre, et le premier que je vois se rassoir dans sa selle, c'est un trou en moins à la sangle ! Et c'est parti pour... (elle consulte sa montre...) vingt-cinq minutes !
Un seul trou en cas d'infraction, finalement, elle est plutôt sympa avec nous...

Bref, tant bien que mal, nous nous exécutons, se raccrochant à ce que nous trouvons sous la main tant que nous ne tirons pas trop sur la tronche de nos pauvres montures qui nous font le plaisir de nous supporter. Comme la plupart de mes petits camarades, je me raccroche à la crinière. Celle de Gulli étant rase, l'exercice n'en est que plus délicat, mais dans l'ensemble, chacun se débrouille plutôt bien, essayant d'adopter la posture qui nous fera tirer le moins sur les gambettes.
Au vue de la température affichée sur le thermomètre ce soir, j'avais enfilé ma polaire pour rester au chaud. Mal m'en pris, je transpire comme un bœuf !

- Faites comme si vous ne ressentiez pas la douleur ! Ose La Monitrice...
- Tiens, le dernier à m'avoir dit ça était mon sergent-chef pendant mon service militaire !
- Aha ! Tu oses me comparer à ton sergent-chef ???
D'un autre côté, ceux que j'ai connu étaient tout de même moins avenant...

Nous continuons ainsi aux trois allures. Au galop, je décide de me prendre au jeu : je plie les genoux, m'allonge légèrement sur l'encolure, y pose les deux mains et essaye de suivre le mouvement avec les jambes. Pendant quelques instants, je me suis imaginé à la place d'un jockey de plat sur un champ de course. La sensation y est drôlement grisante et, pendant un bref moment, j'ai effectivement oublié la douleur.

Mais nous pouvons toujours compter sur les idées diaboliques d'une monitrice imaginative pour nous faire recouvrer la mémoire... Pour terminer la soirée sur une note inoubliable, elle nous demande de déchausser... tout en restant en équilibre !
Pendant une petite minute, nous avions l'air tous aussi ridicules les uns que les autres à essayer de trouver une position sur la selle qui nous empêche d'y poser les fesses sans toucher aux étriers ! Mais bonne humeur assurée, toujours ça de pris !

Finalement, cette séance de mise en selle n'a pas du dépasser le quart d'heure. Malgré tout, le retour au sol a fait émettre quelques gémissements aux cavaliers au contact de leurs jambes sur le sol. Les lendemains risquent d'être bien douloureux...

Retour au box. J'ai à peine commencé à brosser mon noiraud que la plupart des autres cavaliers ont déjà plié bagage.
Tant pis pour eux, pour ma part, j'aime jouer les prolongations ! Je brosse et soigne jusqu'à plus soif, et même si Gulli se semble pas super sensible aux caresses, il paraît particulièrement apprécier les bisous sur la joue. Inutile de préciser que je ne me prive pas !
A force de papouilles diverses, je finis par découvrir son point faible : il adooooore se faire gratouiller sous la gorge ! Bien entendu, je ne me prive pas non plus de le satisfaire, et après de longues étreintes, j'éprouve un vrai regret à le laisser tranquille dans son box pour la nuit.
J'en suis quitte pour lui piquer un crin de sa queue qui ira rejoindre celui de Mowara suspendu accidentellement à la manche depuis la semaine dernière.

Cette nuit là, des étoiles plein la tête, j'ai eu du mal à m'endormir. Je crois que je suis amoureux...

Le lendemain matin, au réveil, le sol détrempé aperçu à travers la fenêtre ne laissait aucun doute. La pluie avait refait son apparition dans le courant de la nuit...

4 commentaires:

  1. J'ai tendance à faire la comparaison de ton cours avec celui de mon ami qui a lui aussi repris l'équitation en septembre. Ils vont moins vite que vous, mais je retrouve beaucoup de similitudes.
    Pour eux, c'était mise en selle hier soir, mais sans les étriers!!

    J'adore ta prof; une tortionnaire qui ne ménage pas ses débutants tout en conservant une pointe d'humour indispensable pour vous faire apprécier les exercices...

    Pas trop douloureuses les courbatures ce matin?

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  2. Oui, un petit peu douloureux, mais j'avais pris la précaution de pratiquer une bonne séance d'étirements juste après la séance. Un truc qui m'est resté de ma période d'athlétisme, ça permet de bien limiter les dégâts.

    Sinon, j'ai effectivement l'impression de progresser à vitesse grand V sous l'impulsion de la monitrice. C'est aussi pour ça que je l'adore, on a jamais l'occasion de s'ennuyer et chaque nouvelle séance est source de nouvelles découvertes. ^^

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  3. Ce qui change un peu des tours "radadas" auxquels ont droit certains clubs qui prennent le temps de bien laisser dans leur ignorance les cavaliers débutants ! Quand j'étais gosse, je me souviens d'un club dans lequel j'avais monté une année : Une année à apprendre à trotter sur le bon diagonal !!! Hum hum, pas très folichon... :-S

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  4. Ahaha ! (tu vois, encore une fois, psss !) Nous, lors de nos cours avec les BPJEPS, on devait carrement mettre les pieds dans les étrivières des étriers. Enjoyyy =)

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